• L'instant : règne de l'éphémère.

     

    Paris, automne 2015; Le boulevard était vide, et son vide s'ennuyait.

     

     Vingt heures déjà, les portes se ferment encore doucement. Quelques envies de vivre qui se dressent ici et là viennent chasser les dernières douceurs du vin lourd : l'ivresse est mieux ainsi.

    Je connais bien cette ville mais n'en connait la fin, cette ville, où chaque jour j'apprends à voir, à regarder ces visages qui sans cesse changent d'une inquiétante rapidité : L'angoisse. L'angoisse de peut-être un jour, devenir quelqu'un d'autre à mon tour. Et si je change, je ne suis qu'un autre à ce que j'étais; quelle serait donc ma place ?

    J'aurais aimé arrêter ne serait-ce qu'un instant, ces hommes et ces femmes qui se croisent sans se voir, le regard comme usé par trop de visages étrangers. J'aimerais qu'ils s'arrêtent. Qu'ils s'adressent un regard, même par mégarde, où de courtoises invitations s'élanceraient comme une main tendue.

    Paris est devenue bien étrange; Paris, emplie de bruits de pas comme arrachés de sous nos pieds, qui s'en vont nauséeux et fébriles, vers de plus accueillants chemins. 

    Ce soir, ce sont de simples gens qui, comme un rideau de pupilles blafardes, se retirent doucement sous l'obscurité qui s'annonce. Cependant, il persiste quelques fois des gens comme cette mère et son fils au beau milieu de la rue, enracinés avec un regret passionné à cette vie fuyante comme une étincelle qui défaille. 

    J'ai du mal à saisir, tout me semble trop soudain, trop effrayant et pourtant si bienséant. 

    Ce soir le jour s'éloigne lentement plus loin dans la nuit et je me meurs avec lui. Qu'est-ce qui te force à te tenir en silence ? Vois-tu la splendeur terrestre et mon deuil avec elle ? Dis-moi pourquoi, en tout ce qui m'émeut, il ne semble exister que barrières et derrière aucun monde ? Sombre nuit. 

    Alors je marche, j'observe ces bâtisses aux portes grandes ouvertes, laissant entrevoir des gestes tombant de refus, des sourires éclatants aux visages et qui, l'instant d'après se figent, sans chaleur et sans joie. 

    L'ai-je déjà dit ? Je vois, et je commence à voir. 

    Des silhouettes de cendres qu'aucun vent n'emporte, et je rêve.

    Quelques moments encore et je serai délivré, quelques moments encore où mon âme s'emballe et me lance ébranlée : l'instant n'est qu'un décor qui sans cesse mûrit dans le silence et qui, d'une douceur infinie articule nos mouvements, sans parvenir au cœur.

     

     

    ©Damien Corbet - L'instant : règne de l'éphémère. Tous droits réservés.


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  • Bonne lecture à vous. 

     

    A.Macao

     

    Nelson Spark

     

     

    I - Incubation

     

    Il faut baiser Madame Dorneval, ne l'oubliez sous aucun prétexte.

    C'est ce que m'avait répété Mr. Hornet le long de la route du Grand Pas, heureux de rencontrer enfin cette femme difforme dont il faisait d'admirables éloges. Il avait pour habitude de me conter des Dames qu'aucun homme ne souhaiterait avoir à ses côtés, qu'elle se tienne en bonne ou même en garde-chiens. Il aimait d'ailleurs penser, qu'une belle dame bien en chair qu'une imposante fortune seule pourrait combler, serait toujours moins utile qu'un « laideron unique » qu'on cache en soirée de peur d'effrayer sa cour. Ce soir là, pourtant, Mr.Hornet se montrait tendancieux, insistant sur des principes qu'il m'avait sermonné avant chacune de mes venues, de ses nouvelles trouvailles. En effet, Madame Dorneval – Ou, la négresse aux boutons d'or, comme certains aiment à l'appeler- est une bourgeoise de premier choix de par sa fortune et qui, malgré son physique abominable, sait se faire entendre et respecter parmi la grande gente. 

    A ce titre, Mr.Hornet vint presque à douter de mes compétences, remettant finalement en question la somme qu'il dû dépenser pour mes services. «15.000 francs, tout de même. Avec une telle bourse, je pourrais m'offrir trois danseuses du grand Est et quelques dizaines des meilleurs cuisiniers que la France puisse compter, et ce pour le bonheur de Madame Dorneval. Vous en conviendrez donc qu'il est dans votre intérêt de m'offrir la main de cette belle et ce qu'importe la manière.»

    Le plus amusant finalement ne fut pas la remise en question d'une tierce somme, mais plutôt l'élégance qu'il avait à s'aimer dans un accoutrement des plus risible, et ce avec une joie qu'aucun ne pourrait gâcher. Il avait d'ailleurs dépensé une modique part de sa bourse - tout au plus 25.000 francs pour plaire aux dames-, autant fut-elle dérisoire à ses yeux.

    A cette occasion, Mr.Hornet s'était vanté de sa dernière acquisition - un chiffon dirais-je- auprès de quelques amis ou du moins, toute connaissance possédant une bourse inférieure à la sienne. Comme vous vous en doutez, ses invités lui accordèrent beauté, attirance, et autres choses futiles qu'un idiot, qu'une autruche admettrait en se prêtant au jeu. 

    Je fus donc le seul à lui retenir cette allure grotesque, et ce par quelques mots qu'il n'eut semble-t-il pas compris :

    - Vous pouvez être fier homme, Mr.Hornet, mais vos boutons plaident à la souffrance, si vous m'accordez cette remarque.

    - Vous êtes un homme, un vrai, Macao, différent de cette cour inutile, emplie de pauvres gens qui s'exaltent à la vue d'un grand homme. Ils savent regarder, certes, et vous en conviendrez, mais voir est un exercice bien plus complexe. 

    En effet, ce soir-là, voir m'aurait été bien plus utile que regarder. N'allez cependant  point croire que je suis un homme qui se substitue à tout acte courageux quel qu'il soit, mais Madame Dorneval, tout de même, je dois reconnaître à ce titre une faiblesse probante; je n'ai en aucun cas les mêmes facilités à concevoir l'attirance – aussi subjective soit-elle- telle que la voit Mr.Hornet. 

    Ce soir là, donc, il m'amena devant le portail de la villa de sa belle. On pouvait reconnaître à son jardin, ses servants, ses sculptures, son architecture, difformes tous autant les uns que les autres, l'objet de l'entêtement de Mr.Hornet à convoiter  Madame. Un jeunes homme d'une vingtaine d'année vint nous accueillir, portant à ses épaules ce qui se rapprochait au mieux d'un renard mort. En tout homme de classe, Hornet salua l'élégance de ce jeune et m'incita à le suivre seul, appuyant cette décision par ce qui semblait tenir de «l'excuse véritable» :

    - Voyons Macao, tout comme moi vous devriez savoir qu'un bourgeois plus fortuné que la femme qu'il convoite doit se faire désirer, la galanterie n'a pas d'ordre lorsqu'il est question d'argent. Aussi, quand bien même il y aurait galanterie, vous en ferez bon porteur en avançant ma venue.

    Madame Dornaval m'accueilli donc dans une salle aussi grande que la place des contes. Elle se tenait fièrement, entourée de statues d'hommes qui s'élançaient sous un plafond de rouge et d'orange qui lui, venait mourir dans l'immensité de sa pièce. Je m'avança donc devant Madame pour lui faire part de la venue de mon maître. Elle était habillée de toute sa fortune, un chapeau tombant sur son visage – qui laissait tout de même voir quelques traits marqués par son caractère, ou son âge-, une longue robe lui procurant des formes qu'aucune femme ne possède – et ne souhaiterait sûrement -, et ses mains cachées de gants en soie blancs parsemés d'éclats d'or. Toutes cette richesse était aguicheuse, certes, mais ce qui retenait avant tout mon attention était ces trois serviteurs, perdus parmi la dizaine qui parcourait le mur jusqu'à son infini désespoir. L'un somnolait comme un enfant, imprudent et rêveur, le second un peu moins agité, faisait sauter sa tête de gauche à droite comme si les cordes d'un magicien du bois venaient lui faire la courre. Le troisième enfin, n'était que l'ombre de lui-même, habillé tout de rouge et d'orange comme si la pièce venait prendre vie en son inconscience. Madame Dornval interrompue mon inattention d'un geste léger de la main, mécontente que l'attention ne lui soit pas en tous points destinée. Elle insista donc sur l'identité de Mr.Hornet, sur la raison de sa venue, son mystère, et m'obligea finalement, forte contrariée, à lui décliner nos intentions.

    - Voyez-vous, chère Madame, mon maître est un homme de plus aimable et respectable que l'on puisse trouver jusqu'à cent lieux d'ici. Mais avant tout, veuillez excuser mon impolitesse, je me nomme...

    - Qu'importe votre nom, votre maître, ce cher monsieur.

    - Mon maître m'envoie vous faire part de sa venue, vous transmettant ces mots :

    « Très Chère Madame Dorneval, il y a de cela quelques mois, des langues se sont dénouées pour enfin me laisser voir et connaître sans prétention la femme que vous êtes malgré les vils qui courent en ce temps. J'aime le mystère que je cultive sur ma personne, ainsi, vous comprendrez la démarche d'avancer mon Valet -aussi peu délicat qu'il soit, veuillez m'en excuser- pour vous annoncer mon arrivée. 

    Aussi, j'ai composé ces quelques mots vous transmettant sans fausses valeurs mes intentions :

    -  Il n'y a de noir que pour l'homme sachant où le jour se couche, et de réelles opportunités uniquement pour celui qui s'accorde à le voir se lever. La nuit est vôtre et n'en reste pas moins contemplée; ainsi j'aimerais faire de vous un tableau, qui chaque jour se ferait désirer.»

    - Et bien, voilà un homme sage et de bonne parole que votre maître. Aussi, qu'attendez-vous, allez donc le prévenir, qu'il vienne se réchauffer en mon humble demeure et ne tarisse pas de ces temps par votre incompétence.

     

    [A suivre]

     

    © Damien Corbet - A.Macao. Tous droits réservés. 


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    Comme l'ombre le reflet.

     

     

    De par mes pieds je n'ai su que marcher... n'étant qu'un peintre aveugle où l'ombre est vérité.

     

    Te souviens-tu, nous avons vu des corps froids qu'on posait sur chacun des silences, alors qu'il suffisait d'un gouffre.  Parfois-même, nous regardions ces hommes s'accorder des cendres que nul œil ne pleure, leur bouche n'étant en rien moins misérable.

    Alors je me couchais en toi pour un simple incendie de noir, de cris, je me cachais en elle,

    là où non loin de moi tu souhaitais voir le monde.

    A l'horizon, je l'avais vue trébucher sur chacun d'eux, puis rester immobile comme frapper d'insomnie - me semble-t-il, lorsque mes yeux couverts de chaires – comme tout jeune enfant nu de naissance - parlaient d'eux-même pour ne plus voir et ne faire que conter.

    J'ai rêvé d'elle, encore, tenant ses bras sûrs comme les montants d'un palais, et ses lèvres mortes étendues comme une allée d'aiguilles enfoncées sous ma peau. A la criée des armes tu avais en ton ventre une peur qui me hurlait la vie, des poudres telle une âme qu'on macère en ses mains, souhaitant vendre son sol à mes ongles arrachés.

    Les lieux ne s'achètent pas et les passions se brûlent. 

    Tu n'avais que ces femmes pas plus noires d'où le ciel semble sombrer,

    Pour que nos pieds harcelés tel un cailloux par les vagues,

    puissent enfin se défaire d'un lien comme d'une identité mais...

    En dessinant l'absurde qui surgis en tout pas pour n'y voir que le monde,

    au bout, à l’extrême bout d’un pinceau, 

    là où l’ivresse du regard n'est pas moins désirable,

    nous avons fait voyager lumières et foules dont les mouvements s’arrêtent pour combler l’horreur,

    où la nécessité bien plus que l’art continuera muette en effleurant l’esprit,

    jusqu’à l’imaginable. 

     

     


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    Puisqu'il fallait bien mourir quelque part

     

     

     

     

     « Les hommes qui vivent ici sont nommés de silence... »

     

     

    Je me souviens de toi, partant dans cette grande bouche qu'est le chagrin d'automne.

    Tu aimais les silences entreposés dans les recoins du soir, les bruits qui courts en insolant les vents pleureurs.

    Parfois, nous nous laissions surprendre par les torrents d'avril, par la venue des arbres qui sans cesse se bombent le torse comme les morceaux  impuissants d'un baiser viennent se coller à nos joues pour exploser nos cœurs;

    Je me souviens de tout.

    Des hommes du nord souhaitant s'étendre au devant des collines, les mains levées au ciel comme des oiseaux brûlés de froid.  

    Des ombres et des parterres tracés à la craie blanche; 

    De toi, le regard immobile comme des enfants éperdus sous les phares; 

    Tu ne pensais qu'à mourir comme le ciel .

     

    Le temps eut finalement raison de ton corps qui s'écrase doucement le long des rues désertes. Alors les yeux rivés vers ce qui te semblait si haut, tu as fait de toi des étages incrustés de bétons où les derniers soupirs des tes joies s'envolent dans un accès bruyant de train perdu en gare.

    « Tu rêvais de voyage, d'hommes et de femmes où l'âge d'or ne brûle pas les ombres en réveillant ceux qui dorment sous ta peau. »

    Ainsi tu penses être famille et refuge à celui qui recule en ne laissant que d'obscurs grillages au fond du cœur; Tu t'imposes contraste prude d'une ville en feu où les esprits fragiles s'égarent pour finir en tes bras comme les insectes au bord de nos cafés.

    Aujourd'hui on ne compte plus les hommes qui ont fini par faire de leur corps tes murs, les femmes tes fenêtres par lesquelles tu t'adonnes à voir courir le temps aux rues sur de trop longs silences, et les rires des enfants, débris de jaune et de crasses, jetés par dessus bords pour qu'ils boivent la tasse et vomissent le monde.

    Puisqu'il fallait bien mourir quelque part et que les routes sont toujours un peu plus les mêmes, j'irai purger des murmures égards tel un corps oublié marchant à la dérive, afin de joindre ma voix aux cent qui souffrent sur tes murs.


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