• A l’heure où celui qui veut peindre…

    A l’heure où celui qui veut peindre…






    Minnesota, 1869,là où nul ciel ne s’azure.

    Sur la place de Brooklyn Park, j’ai pris du papier blanc et des couleurs à l’eau. Autour de moi, il y a des femmes qui s’imaginent des toits rouges de blessures, de vieux hommes paisibles comme le front pensif d’un enfant, et parmi l’immobile, des jeunes trop venimeux pour penser à s’étendre. Alors, à l’heure où celui qui veut peindre inclut dans sa raison que nul ciel ne s’azure, j’embarque mes folles ressemblances. Sur la petite estrade qui jonchait la place, il y avait un homme en costume blanc qui baladait ses pieds, claquants telle la langue d’un chien satisfait. Plus loin, ses souliers verts sautaient comme deux hommes saouls trop contents sur leur chaise. Caché aux creux des arbres, il y avait des jeunes aux longs cheveux rêvant le ciel paré par des ballons d’enfants. Et moi j’irai par delà les allées jusqu’au bassin mourant, perdre mes yeux parmi les bouches froissées, où d’éternels parfums s’érigent encore dans ses creux, pour n’en faire qu’un bouquet. Pourtant, prêt du banc gris qui bordait les saules riverains, il y avait le vent qui poursuivait les femmes, tandis qu’elles-mêmes poursuivaient le vent. Minnesota, printemps 1869, à l’heure où celui qui veut peindre médite d’un ouvrage, j’ai vu des femmes où nul ciel ne s’azure, et ses yeux délavés, pour n’aimer qu’un mirage.

     

    Damien Corbet - Extrait du recueil " Page après page" - tous droits réservés.


  • Commentaires

    1
    Tof'
    Samedi 29 Mai 2010 à 13:07
    Tes mots sont peints du bout d'un pinceau fin, et subtil... On te suit page après page, touché... A bientôt. Tof'
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