• Divagation

    Divagation







    Juin 1992, l’amour est une photo qui brûle lorsque le romantique se lasse sur les courant du temps mais…

    Sur l’avenue de Market Street, j’écoute les routes roucouler sous quelques pas pressés. Je loge depuis deux jours dans un petit motel à la croisée de la 5ème et 4ème avenue. En ce mardi 18, les heures se font longues et s’accrochent aux derniers plis d’une vieille tapisserie bleue. De temps à autres, j’entends quelques demoiselles revenir des rues, laissant dans le couloir quelques soupirs inégaux s’estomper comme la vibration d’une corde qui se rompt. Dehors, le jour se lève incendié comme un homme creusé des poumons, des hommes marchant au loin tandis que d’autres parlent d’ici. On y voit des gens courir comme un trop-plein de visages étouffants sur la vitre d’un train, laissant aux vagues quelques amours se bousculer. Accoudé au bord de ma fenêtre, l’immeuble se tenant en face semble bien bavard, il y a des couples se lançant divers soupçons sur une musique absconse, peut-être est-ce du jazz ? Quelques appartements plus bas, une longue chevelure noire danse au vent alors même que son ombre s’abreuve vainement d’un courant sans histoire. Au bout de l’avenue travaille Marianne, une jeune fleuriste tout juste sortie de son bouton, pavanant dans sa robe de lambeaux figés de ce dernier printemps et, comme chaque jour, un homme en costume blanc passe la voir armé d’un grand sourire niais mais… Ce soir, le ciel s’endort d’un signal de fête.
    Et Qu’est-ce que le ciel s’il n’existe pour les fous ?
    Je me souviens, de lumières sinistres mais nues au cœur de l’homme qui – quand bien même serait-elles impitoyables-, savaient gâter les pauvres. Et doucement je fredonnais : « C’est maintenant la paix, ici, lorsqu’elle excite hargneusement… ». De toutes parts du globe vous autres -tout homme imitant tous ces sens et sentiments compliqués-, jetiez la délivrance dans votre solitude. Pourtant, d’un feu d’artifice souffrant, dans vos esprits brûlants de distinctions, la gloire d’être un fou –comme toute personne qui ne le crierait pas- se couchait étrangère sur trop d’horizons.
    Alors parmi les rues j’écoute le cauchemar des vieilles avenues d’une présence vacillante, le bruit des pas qui chaque soir déteignent la nuit par de chroniques malaises… et la lune. Après tout, à chacun sa chimère. À celui qui du champ fait un sac à son dos, à tous ceux qui, perdus, chaque instant questionnent les hommes sur leur propre chemin, à celle qui chaque jour et chaque seconde condamne sa physionomie, résignée face à ceux qui l’éloge à toute heure.
    Et moi j’aimerais

    lancer

     

    Aux robes du matin
    Le sauvage des femmes
    Si l’âge des vieux gens
    Ne pense plus à plaire.



    À chacun sa chimère, la mienne n’est qu’elle tant qu’elle n’est qu’objection, tant qu’elle n’est qu’abstinence… aux rives du repos.

    Au café au A du vieux port, tout au bord du ciel, je laisse le vent conter les histoires de l’autre bout, là où les femmes de café rougissent leur gorge de roses fanées, comme dirait le patron du News Hanton’s. Chaque mercredi matin aux alentours de trois heures, John vient morne et fastidieux, accompagné de son harmonica. Ici, les gens l’appellent « Le russe », faute d’avoir un visage trop sévère, paré de quelques traits trop prononcés. Il répète chaque matin ô combien l’homme fonde trop d’espoir sur son lendemain, et que la course des heures est trop stupide. Les gens pourront vous dire maintes et maintes fois mille injures sur sa personne, mais John lui, c’est l’homme, le vrai, finalement. Celui qui ne songe pas, qui n’aime pas réfléchir et qui, une fois la tête levée se dit… peut-être. Il rabâche aussi souvent que le monde n’est finalement qu’une grande pièce noire en ajoutant que, quoi qu’il advienne : « Demain j’irai comme trop d’hommes l’ont fait, pour ne trouver que moi. »

    Sur le chemin du retour, au croisement de la 1ère et 2ème avenue, aux alentours de six heures, il y avait deux étrangers assis sur un banc près d’une presse dansant sur quelques accords alors que le jour se levait tout juste. Il y avait aussi le petit Pranson qui courait après sa feuille alors qu’elle-même s’évadait à la recherche de faits divers. Plus loin les commerces commençaient à bâiller, laissant quelques gens fortunés s’aventurer en leur bouche, pour en sortir plus bavards. J’ai trop de paysages qui parlent dans mes yeux…

    Une fois arrivés devant le motel, la 4ème avenue du bout de sa langue encore humide laissait place à l’aurore, alors les paupières des immeubles avoisinant ce spectacle s’ouvraient doucement comme une porte grinçante pour laisser place au quotidien. Alors les Dames sortaient pressées comme une pluie battante, les hommes venaient s’asseoir près des rues pour oublier leur jeunesse le temps d’une journée. D’autres encore partaient vers quelque part, des étoiles aux yeux comme une foule d’enfants, puis s’estompaient doucement comme une chaîne qui s’use maille après maille. Aujourd’hui, San Francisco s’éveille fier de son monument, car tels sont ses habitants, libres et grands mais pourtant si uniques, mais les grands mots ne font pas les grands peuples. Comme dirait John, « voici l’heure du larcin où l’homme vient clamer son nom pour un semblant d’existence »… Mais finalement qu’est-ce que le temps, et l’homme… puisque le point ne terminera jamais. Alors demain, dès l’ivresse du soir, nous partirons là-bas, s’ils sèchent avant l’aube.

     

     

     

    Extrait du recueil : Il Fut un temps... l'ailleurs. Tous droits réservés. (Toute reproduction, même partielle, peut entrainer des poursuites judiciaires. )


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