• Le gouffre.

    Parallélisme et autres dévergondes.






    A l’angle du troisième boulevard là-bas sur les usines, le jour se lève incendié comme un homme creusé des poumons, sous la discorde des souffles. Août 1830, Singapour, comme un trop plein de visages étouffants sur la vitre d’un train. Dans les rues lorsque la ville s’éveille, on voit les femmes sortir sous de grandes robes de lambeaux figés de ce dernier printemps. On laisse venir le brouhaha des hommes sortant d’une rue sombre et qui d’un ton, s’arrache, comme une partie de moi. Sur la place du marché comme chaque matin, on y trouve des hommes aux noirs pieds nus d’argent, aux mains pâles et glacées, et tout comme eux, l’obscur et son étreinte m’ont tendu les bras. Alors, tapis sous mes yeux ternes, la lueur de l’aube comme minée de nuits s’est éteinte en morsures.
    Demain j’irai comme trop d’hommes l’ont fait, pour ne trouver que moi. Et finalement, sans cesse j’ai dépeins ma tête sur je ne sais quelle terre, j’ai vu l’automne et ses lyriques valses mortes, j’ai couru bien des ports pour n’y voir que la mer, et touché trop de femmes d’une pâleur sans astre.
    J’ai pris les trains comme un foulard au vent, sans abord à mon quai, sans raille à mon chemin mais…
    Ce soir le ciel tombe d’un signal de fête. Et Qu’est-ce que le ciel s’il n’existe pour les fous ?
    Je me souviens, de lumières sinistres mais nues au cœur de l’homme qui – quand bien même serait-elles impitoyables-, savaient gâter les pauvres. Et doucement je fredonnais : « C’est maintenant la paix, ici, lorsqu’elles excitent hargneusement… ». De toutes parts du globe vous autres -tout homme imitant tous ces sens et sentiments compliqués-, jetiez la délivrance dans votre solitude. Pourtant, d’un feu d’artifice souffrant, dans vos esprits brûlants de distinctions, la gloire d’être un fou –comme toute personne qui ne le crierait pas- se couchait étrangère sur trop d’horizons.
    Alors dans les rues j’écoute le cauchemar des vieilles avenues d’une présence vacillante, le bruit des pas qui chaque soir déteignent la nuit par de chroniques malaises… et la lune. Après tout, à chacun sa chimère. À celui qui du champ fait un sac à son dos, à tous ceux qui, perdus, chaque instant questionnent les hommes sur leur propre chemin, à celle qui chaque jour et chaque seconde condamne sa physionomie, résignée face à ceux qui l’éloge à toute heure.
    J’aimerais lancer aux robes du matin le sauvage des femmes si l’âge des vieux gens ne pense plus à plaire. À chacun sa chimère, la mienne n’est qu’elle tant qu’elle n’est qu’objection, tant qu’elle n’est qu’abstinence… aux rives du repos.
    Août 1830, Paris, s’ils sèchent avant l’aube.
    Sur la scène du monde un nouveau jour s’avance. Sur son grand linceul gris troué, le ciel s’étale sous une foule de gens sans profondeur. Le long d’une rue non loin de l’esplanade des invalides, se tiennent comme chaque jour les artistes d’êtres sans attention, excellant dans les rôles muets, et pourtant si excentriques lorsque de vert leurs vêtements s’arrachent pour habiller le vent.
    Plus loin, au milieu de la place, un homme contemple le monde quand vient s’éteindre la nuit, crachant de ses cheveux emmêlés, ces semblants de hauteurs qui surplombent les ombres. Au milieu de ses mains, dans ses paumes, sous ses pieds, dansent des hommes et d’une simple fuite, il leur trace sa route, déchirée sauvagement d’une ligne d’horizon. Lorsque l’horloge du cloché de la gare sonne, il baisse lentement la tête vers le sol et soudainement tout de lui tourne, ses yeux, à s’inventer des jours, à décompter des nuits, pour vivre en son regard ces belles échappées, dérobées un instant entre sommeil et pluie. Alors il chante de sa gorge brûlée, par les tréfonds d’une bouteille, les airs d’une chanson d’un Ouest édulcoré, jusqu’à ce que sa tête tombe dans ses bras qui s’engouffrent, où ses yeux suivent encore le soleil enrobé d’un point de fuite, l’ivresse peignant le froid sur son torse dénudé.
    Ont est tous un peu lui…

    Pourtant,

    Dans ce long couloir qu'est l’attente et l’estime de ma propre personne, il y a des gens qui passent, des gens du monde marchant telles d'intouchables figures, avec l’angoisse, l'angoisse d’une curiosité, d'appartenir à quelconque événement, marchant, parallèles aux murs. Certains reviennent, parfois, dans l’irrésistible attention de voir le spectacle de ma solitude. D’autres encore, se collent masquent d’ombres de peur d’êtres aperçus d’un regard trop soucieux, où pour semblerait-il, essayer de comprendre le vide qui érige mes murs, comprendre ce vide qui parfois s’adresse au silence pour ne pas sous-entendre, et le monde, plein d’événements étranges, de fêtes, de femmes et de frivolité, comme l’énigme d’un tableau.

    Par moment j’avance quelques pas pour écouter naïvement les femmes échanger quelques rires, jusqu’à ce que ce gouffre avance emportant avec lui les joie de mon enfance, les sanglots d’un mythique septembre, les chaleurs d’un mystérieux feu d’hiver n’étant qu’une ridicule invention à laquelle je suis encore le seul à croire, et ma gorge… accrochée silencieuse.
    C’est comme si nous avions tous vécus dans une galerie, ces gens dehors, ces personnes au-dedans qui, en l’espace d’un instant, se déformaient lorsque j’y pose un quelconque intérêt, se parant toutes les unes après les autres de grimaces étranges, aux croisements de mon étroite pièce.
    C’est comme regarder dans une flaque et promettre à son propre reflet qu’il n’y aura plus rien sous crainte de se défausser à nouveau… et finalement se dire que les promesses n’engagent que les personnes qui le reçoivent.
    Je pense - bien que penser n’est plus chose facile- que si l’obligation ou l’idée d’émettre un quelconque sens à décrire ma personne se présentait à moi, je me couperais en quatre :

    - Celle qui pense au fond d’une pièce noire, sur la figure qu’il se donne tel un homme.

    - L’autre un peu moins solide mais bien plus entourée, qui plaide son humanité.

    - La troisième, chaotique réunion des deux parts précédentes qui ne sauraient se décider de peur de se montrer semblable au commun ;

    - Et pour la finir, la bête, qui finalement se montrerait parfois bien plus habile et sensée en agissant par instinct, plutôt qu’être en soi-même qu’une question sans point.

    Lorsque la nuit vient rejoindre l’inquiétude de ma pièce, j’entends des hommes –Ou du moins, ce qu’il en reste-, s’adorer, s’aimer, jusqu’à travestir leur ombre.
    Cependant, je ne jugerais pas ces gens, puisqu’il m’arrive aussi d’afficher cette facette, à parler à l'absconse en disant presque vulgairement :

    J’ai tatoué sur ton corps bien trop de tours que l’on conte, et mon cœur, je l’ai donné, je l’ai repris, il fût un temps là-bas mais… ce n’était pas grand-chose. Madame, ce soir l’espoir flambe comme un sombre village, c’est l’heure de l’amour aux ardentes névroses… Ô douce, laissez-moi me blottir en votre ventre, là-bas où bien trop d’amants se retournent mais ne crient. Ô ma tendre ce soir je serai soldat mais laissez moi périr comme meurent les fous, laissez-moi déposer sur vos seins, l’homme qui vie lorsque le jour s’y achève…

    Et tout ceci pour finir visage sur main, en rabâchant à tue-tête :

    La vie, c’est insensé, c’est comme prévoir les derniers jours d’hiver, et passer la frontière d’une tierce chanson, pour prendre part au vide qu’émet notre raison, et se voir fondre un peu.

    15h00 ma ville, mon cube, et les gradins qui tombent. Des yeux des cris des mains ?
    Une mère brandit son fils
    Sanglots
    Une larme de
    Colère
    Tombe
    Pour creuser son
    Berceau
    Et faire renaitre l’innocence…

    Des pas toujours des pas la vie une enclume qui ne retient plus l’homme
    15h00 ma ville il y a des jeunes morts et grands brûlés les poumons rouges flambants de feuilles dans les yeux et les doigts qui se cendres c’est comme courir la rue en trônant sur la mort tout est poussière et tout recouvre l’inconscience c’est comme courir la rue sur un sol mouvant et ne voir en tout ce qui m’entoure qu’une vile image blanche traçante parsemée de points noirs et
    Le doute





    Il n’y a que moi qui compte.





    Damien Corbet - Extrait du recueil " Il fut un temps... l'aileurs "- Tous droits réservés.


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  • Pensée

     

     

     

    « La mort dans la vie, c'est inalliable, c'est répugnant ; la mort avec la mort, c'est approchable, ce n'est rien, un ventre peureux y rampe sans trembler. »

     

    • René Char  -

     

     

     

     

    J’ai retrouvé des images blanches se tachant de toi, un brin de tout,  qui s’évade et file toujours un peu plus loin.

     

    Mais pour connaitre l’absence,

     il faut connaitre le besoin, 

    et admettre mon corps,

    tel un homme qui n’a plus d’organe.

     

    Parfois,

     

    J’imagine mon âme, transportable mais toutefois divisible, comme toute chose qui est. Pourtant, Il fut un temps où rêver sans apprendre sut être un privilège, et ce temps, ou rêver du même rêve se voit être un refrain.

    Tu sais, j’ai réservé le dernier mur, celui qui te dit bête d’avoir cru l’infini, mais qui sait dans ton dos n’être qu’une poursuite continue.

    C’est comme  porter l’angoisse, puis avorter d’une souffrance froide et sans image, sans sentiment, une ponctuation aussi puissante qu’un couteau où tous les mouvements restent figés, où, comme un écho l’esprit s’étrangle et se coupe lui-même.

    Etrange.

    Comme croire en la pensée, qu’i l existe un obstacle pour jouer du bonheur.

    L’instant, comme celui d’hier… Je l'imagine plein d'échos, de gouffres,  d’arpèges et de retournements ;

    Je l’imagine, pourtant si défini, tel les jures  de la poudre pour élancer l’action, tel un claquement de langue consent, faisant tourner en tout sens ses yeux– et se tue.

     

    J’ai retrouvé l’espoir, la vie, l’absence, et découvert en eux, la forme d’un front qui pense

    Mais...

     

    C’est comme

    Regarder les nuages passer

     

     

     

    L’amnésie est une petite mort en soi.

     

     

     

     

     

     

     

     

    « Notre figure terrestre n'est que le second tiers d'une poursuite continue, un point, amont. »

     

    • René Char   -

     

     

     

    © Damien Corbet - Extrait du recueil " Il fut un temps... l'ailleurs" -Tous droits réservés.


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  • Divagation







    Juin 1992, l’amour est une photo qui brûle lorsque le romantique se lasse sur les courant du temps mais…

    Sur l’avenue de Market Street, j’écoute les routes roucouler sous quelques pas pressés. Je loge depuis deux jours dans un petit motel à la croisée de la 5ème et 4ème avenue. En ce mardi 18, les heures se font longues et s’accrochent aux derniers plis d’une vieille tapisserie bleue. De temps à autres, j’entends quelques demoiselles revenir des rues, laissant dans le couloir quelques soupirs inégaux s’estomper comme la vibration d’une corde qui se rompt. Dehors, le jour se lève incendié comme un homme creusé des poumons, des hommes marchant au loin tandis que d’autres parlent d’ici. On y voit des gens courir comme un trop-plein de visages étouffants sur la vitre d’un train, laissant aux vagues quelques amours se bousculer. Accoudé au bord de ma fenêtre, l’immeuble se tenant en face semble bien bavard, il y a des couples se lançant divers soupçons sur une musique absconse, peut-être est-ce du jazz ? Quelques appartements plus bas, une longue chevelure noire danse au vent alors même que son ombre s’abreuve vainement d’un courant sans histoire. Au bout de l’avenue travaille Marianne, une jeune fleuriste tout juste sortie de son bouton, pavanant dans sa robe de lambeaux figés de ce dernier printemps et, comme chaque jour, un homme en costume blanc passe la voir armé d’un grand sourire niais mais… Ce soir, le ciel s’endort d’un signal de fête.
    Et Qu’est-ce que le ciel s’il n’existe pour les fous ?
    Je me souviens, de lumières sinistres mais nues au cœur de l’homme qui – quand bien même serait-elles impitoyables-, savaient gâter les pauvres. Et doucement je fredonnais : « C’est maintenant la paix, ici, lorsqu’elle excite hargneusement… ». De toutes parts du globe vous autres -tout homme imitant tous ces sens et sentiments compliqués-, jetiez la délivrance dans votre solitude. Pourtant, d’un feu d’artifice souffrant, dans vos esprits brûlants de distinctions, la gloire d’être un fou –comme toute personne qui ne le crierait pas- se couchait étrangère sur trop d’horizons.
    Alors parmi les rues j’écoute le cauchemar des vieilles avenues d’une présence vacillante, le bruit des pas qui chaque soir déteignent la nuit par de chroniques malaises… et la lune. Après tout, à chacun sa chimère. À celui qui du champ fait un sac à son dos, à tous ceux qui, perdus, chaque instant questionnent les hommes sur leur propre chemin, à celle qui chaque jour et chaque seconde condamne sa physionomie, résignée face à ceux qui l’éloge à toute heure.
    Et moi j’aimerais

    lancer

     

    Aux robes du matin
    Le sauvage des femmes
    Si l’âge des vieux gens
    Ne pense plus à plaire.



    À chacun sa chimère, la mienne n’est qu’elle tant qu’elle n’est qu’objection, tant qu’elle n’est qu’abstinence… aux rives du repos.

    Au café au A du vieux port, tout au bord du ciel, je laisse le vent conter les histoires de l’autre bout, là où les femmes de café rougissent leur gorge de roses fanées, comme dirait le patron du News Hanton’s. Chaque mercredi matin aux alentours de trois heures, John vient morne et fastidieux, accompagné de son harmonica. Ici, les gens l’appellent « Le russe », faute d’avoir un visage trop sévère, paré de quelques traits trop prononcés. Il répète chaque matin ô combien l’homme fonde trop d’espoir sur son lendemain, et que la course des heures est trop stupide. Les gens pourront vous dire maintes et maintes fois mille injures sur sa personne, mais John lui, c’est l’homme, le vrai, finalement. Celui qui ne songe pas, qui n’aime pas réfléchir et qui, une fois la tête levée se dit… peut-être. Il rabâche aussi souvent que le monde n’est finalement qu’une grande pièce noire en ajoutant que, quoi qu’il advienne : « Demain j’irai comme trop d’hommes l’ont fait, pour ne trouver que moi. »

    Sur le chemin du retour, au croisement de la 1ère et 2ème avenue, aux alentours de six heures, il y avait deux étrangers assis sur un banc près d’une presse dansant sur quelques accords alors que le jour se levait tout juste. Il y avait aussi le petit Pranson qui courait après sa feuille alors qu’elle-même s’évadait à la recherche de faits divers. Plus loin les commerces commençaient à bâiller, laissant quelques gens fortunés s’aventurer en leur bouche, pour en sortir plus bavards. J’ai trop de paysages qui parlent dans mes yeux…

    Une fois arrivés devant le motel, la 4ème avenue du bout de sa langue encore humide laissait place à l’aurore, alors les paupières des immeubles avoisinant ce spectacle s’ouvraient doucement comme une porte grinçante pour laisser place au quotidien. Alors les Dames sortaient pressées comme une pluie battante, les hommes venaient s’asseoir près des rues pour oublier leur jeunesse le temps d’une journée. D’autres encore partaient vers quelque part, des étoiles aux yeux comme une foule d’enfants, puis s’estompaient doucement comme une chaîne qui s’use maille après maille. Aujourd’hui, San Francisco s’éveille fier de son monument, car tels sont ses habitants, libres et grands mais pourtant si uniques, mais les grands mots ne font pas les grands peuples. Comme dirait John, « voici l’heure du larcin où l’homme vient clamer son nom pour un semblant d’existence »… Mais finalement qu’est-ce que le temps, et l’homme… puisque le point ne terminera jamais. Alors demain, dès l’ivresse du soir, nous partirons là-bas, s’ils sèchent avant l’aube.

     

     

     

    Extrait du recueil : Il Fut un temps... l'ailleurs. Tous droits réservés. (Toute reproduction, même partielle, peut entrainer des poursuites judiciaires. )


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  • Broken Road






    Quelque part au Texas… juste le temps d’un verre.


    J’ai suivi bien des routes en esquivant les bandes, sans cesse, taillé au fond des yeux la direction des pierres, pour finir par tomber comme l’engelure qui me pendait au cœur. Il est fini le temps des lentes valses lorsque vient le froid, qu’entre deux verres, deux glaces et quelques trainées d’âge, l’homme ne trouve d’attirance au long souffle d’été qui parcourait son cou. Assis prêt de Broken road, je crache dans mes paumes pour retenir le temps mais… ça m’est égal de mourir à l’aurore.
    Perdu, je rêve d’une femme aux longues tresses brunes, au fort goût de tabac, le corps à corps plein les yeux et ne jamais compter, rêver, d’un tout sans importance lorsque les gestes sont des bras qu’on va jeter au sol.

    Quelque part… juste le temps d’un verre, je veux boire à l’errance, à ces bras secs et leurs regards en vagues, briser le vent qui répète sans cesse : « J’ai bien trop d’amis morts et qui ferment ta marche sans lever les yeux ».

    Sur la Broken Road, j’y rencontre des gens au tracé lourd de blessures, qui boivent aux longues fissures d’un carrefour, la bouche en cœur, le corps délaissé, jusqu’à trouer le temps de longs courants amers.
    Alors je rêve d’un train qui chevauche vers le nord, les coudes serrés contre la route.
    Broken Road, je te rêve telle une femme défaite qui tasserait ses mains, qui, les yeux tels de vieilles mines froides me tueraient de peur d’êtres trop belles, aux brûlures de mes mains.
    Et comme une rue charpentée vient s’asseoir au rebord, mes bras feront tes quais, morts, jusqu’à ce qu’un autre homme vienne faire tes reins.

     

    (Peinture de Cédric Malaunais)

     

    Damien Corbet - Extrait du recueil " Il fut un temps... l'ailleurs" - tous droits réservés.


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  • C’était hier.
    Femmes des rues, femmes du monde.





    Singapour, juin 1992,
    elle avait le sourire qui pendait à sa robe.

    À ce jour j’ai connu bien des femmes, peut-être même un peu trop.
    Sous quelques roucoulements marins, j’ai vu la rue, les femmes, les voiles, les flots et les cent pas d’un homme s’en aller sans vague. Au croisement d’Emerald Hill Road, les berges écoutent ce que disent les gens. Ici, dans cette forêt d’hommes au cœur de vinaigre dur, les yeux fourmillent et les langues se retournent. Moi, dans ces couloirs sans pompe où les lumières s’estompent au tournant, je regarde la ville brûlée lorsque le ciel se résorbe en cris. Alors je marche, je contemple l’ombilic tracer sa route parmi les hommes. Ce soir, les rues s’animent et j’y croise des fourbes, j’y rencontre des femmes aux longs habits d’escales, au port braillant lorsqu’une barque s’y mouille… et Lucie. C’est une femme de verre brisé où l’on voit dans ses yeux, son corps, cette mer pouilleuse d’îles qui craquent aux doigts, que j’embrasse sans broncher. C’est un être tout de nuit couvert, aux longs cheveux d’orages, aux seins reliés par trop de paires de manches, suspendus à ma bouche. Et moi, j’aime les femmes des rues, puisqu’elles changent les femmes. Singapour, juin 1992, elle avait le sourire qui pendait à sa robe, c’était hier… mais l’étreinte poétique comme l’étreinte de chair, tant elle persiste, défend toute échappée sur la misère du monde.


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