• C’était hier.
    Femmes des rues, femmes du monde.





    Singapour, juin 1992,
    elle avait le sourire qui pendait à sa robe.

    À ce jour j’ai connu bien des femmes, peut-être même un peu trop.
    Sous quelques roucoulements marins, j’ai vu la rue, les femmes, les voiles, les flots et les cent pas d’un homme s’en aller sans vague. Au croisement d’Emerald Hill Road, les berges écoutent ce que disent les gens. Ici, dans cette forêt d’hommes au cœur de vinaigre dur, les yeux fourmillent et les langues se retournent. Moi, dans ces couloirs sans pompe où les lumières s’estompent au tournant, je regarde la ville brûlée lorsque le ciel se résorbe en cris. Alors je marche, je contemple l’ombilic tracer sa route parmi les hommes. Ce soir, les rues s’animent et j’y croise des fourbes, j’y rencontre des femmes aux longs habits d’escales, au port braillant lorsqu’une barque s’y mouille… et Lucie. C’est une femme de verre brisé où l’on voit dans ses yeux, son corps, cette mer pouilleuse d’îles qui craquent aux doigts, que j’embrasse sans broncher. C’est un être tout de nuit couvert, aux longs cheveux d’orages, aux seins reliés par trop de paires de manches, suspendus à ma bouche. Et moi, j’aime les femmes des rues, puisqu’elles changent les femmes. Singapour, juin 1992, elle avait le sourire qui pendait à sa robe, c’était hier… mais l’étreinte poétique comme l’étreinte de chair, tant elle persiste, défend toute échappée sur la misère du monde.


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  • A l’heure où celui qui veut peindre…






    Minnesota, 1869,là où nul ciel ne s’azure.

    Sur la place de Brooklyn Park, j’ai pris du papier blanc et des couleurs à l’eau. Autour de moi, il y a des femmes qui s’imaginent des toits rouges de blessures, de vieux hommes paisibles comme le front pensif d’un enfant, et parmi l’immobile, des jeunes trop venimeux pour penser à s’étendre. Alors, à l’heure où celui qui veut peindre inclut dans sa raison que nul ciel ne s’azure, j’embarque mes folles ressemblances. Sur la petite estrade qui jonchait la place, il y avait un homme en costume blanc qui baladait ses pieds, claquants telle la langue d’un chien satisfait. Plus loin, ses souliers verts sautaient comme deux hommes saouls trop contents sur leur chaise. Caché aux creux des arbres, il y avait des jeunes aux longs cheveux rêvant le ciel paré par des ballons d’enfants. Et moi j’irai par delà les allées jusqu’au bassin mourant, perdre mes yeux parmi les bouches froissées, où d’éternels parfums s’érigent encore dans ses creux, pour n’en faire qu’un bouquet. Pourtant, prêt du banc gris qui bordait les saules riverains, il y avait le vent qui poursuivait les femmes, tandis qu’elles-mêmes poursuivaient le vent. Minnesota, printemps 1869, à l’heure où celui qui veut peindre médite d’un ouvrage, j’ai vu des femmes où nul ciel ne s’azure, et ses yeux délavés, pour n’aimer qu’un mirage.

     

    Damien Corbet - Extrait du recueil " Page après page" - tous droits réservés.


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