• Je crois que j’suis perdu.





    17 mai 2968, à regarder les suicidaires aillés s’écraser sur une lampe d’appoint.


    Chaque soir le soleil tombe d’un ton usé comme une pièce au fond d’une boîte de conserve, s’écorchant un peu plus. Par la fenêtre d’une vieille cabane en bois, on voyait quelques femmes s’assoupir, leurs robes tombaient comme une cloche sur une parcelle du monde. On voyait quelquefois deux vieux hommes se gonfler le torse comme un ballon tandis que trois ados criaient leurs malheurs de jeunesse en murmurant, je t’aime… à te crever. Alors, lorsque derrière la montagne, le vent s’accordait à se perdre dans le creux des briques, sous un accord d’harmonicas, les arbres se couchaient comme un porche que l’âge aurait volé du romantisme. Je crois que j’suis perdu… lorsque les planches dansent et puis se courbent comme un berceau, pour accueillir les murmures du jour…
    Alors on cherche,


    On se noie
    Au fond d’un verre
    D’une branche d’un
    Métier
    Poche’Tronc
    Au point d’prendre racine


    Et puis
    On se dit
    Qu’on s’refait pas
    Qu’on change
    D’un regard,
    D’un œil, et puis devenir
    Borgne
    Au point d’changer les autres…




    23 mai 2968,
    alors on cherche…

    Lorsque le temps s’accorde à se tuer, assis sur une chaise où bien des amours se sont vus achevés. On cherche à comprendre en regardant les suicidaires ailées s’écraser sur une lampe d’appoint, leurs paquets d’yeux tombant comme un collier de perles et puis se dire que… ça fait mouche. Alors on s’imagine, seul une sèche à la main, les femmes en mosaïques, les cœurs en italiques, un penchant pour l’alcool et les baisers satins. On s’imagine une plage où les formes divaguent aux bonnes envie du monde. On s’image des champs, où les grains craquent comme des cheveux secs lorsque le vent d’une caresse ne sait plus quoi dire. Alors on cherche… un chemin pour se perdre encore plus, et prendre l’espérance des bateaux papiers…
     

    Certains radeaux voguaient,
    Tanguaient, puis s’accordaient
    A n’être qu’apparat,
    Sous un ciel déjà nu ;


    On regarde le ciel pour se noyer d’envergure, on ferme les yeux face aux femmes trop belles et puis l’on cherche… des vergetures au cœur, jusqu’à ce que l’on soit trouvé.

     

    (Peinture de Cédric MALAUNAIS)



    © Damien Corbet -Tous droits réservés.


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  • Justice et devenir.



    Je ne veux pas grandir…
    Juste, être l’ombre au beau milieu d’une chambre noire.
    Juste, voir venir le jour s’échouer comme un grand duvet sombre, tomber comme un rideau sur scène. Nous irons voir les hommes s’élancer des rocheuses, sauter comme des tubes de couleurs sur un tableau muet.
    Je ne veux pas grandir, ni poursuivre les trains pour tomber sans éthique… et puis garder demain sous un grand plafond noir, cracher l’espoir et le chagrin comme un taggueur sans talent. Je veux l’amour en mosaïque et puis tirer le ciel comme se dénude une femme sous les avances de son astre amant. Ô justice, l’avenir s’offre aux mains d’un homme de phosphore et, las sous le soleil, jette-y ta balance. Ô justice, va te perdre aux égouts pour y crier tes droits, puis plaider tes valeurs…
    Je ne veux plus guérir et m’imbiber d’un clicher désolant, rêver du noir, du blanc, et puis suivre l’homme gris comme un crayon qui pleure…



     

    (Photo de Jose Almeida et Maria Flores )

    © Damien Corbet - tous droits réservés .

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  • Les déboires d’un enfant soldat

    (Ce n'est que l'extrait d'une nouvelle)



    C’était au printemps dernier, lorsque le soleil riait encore et ravivait la mélodie des brousses. De ces jours où, comme à leurs habitudes, les femmes et les enfants chantaient en cercle, lançant leurs mains au ciel et leurs pieds à la terre pour lier l’homme et le dieu. J’étais seul, avec mes trois frères. Il y avait Joffrey, le plus âgé, fort et plein de charisme, Pierre, le dur à cuire, Flamio puis moi, Trotza, 16 ans. Ont a perdu nos parents un jour de forte pluie, sur l’étale d’un marché lorsque mon père avait refusé de vendre ma femme à son patron. Ici la vie n’est pas plus dure qu’ailleurs, enfin, disons qu’il faut savoir faire avec ce que l’on a et s’adapter aux circonstances.
    Tout à coup, les femmes s’étaient mises à crier puis déboulaient de partout.  C’était un jour comme tous les autres, oui… jusqu’à ce que ces hommes viennent nous chercher ayant pour argument :
    -    « Il faut partir ! Dieu nous a dit… »
    Ils étaient tous armés, à n’en plus savoir où trouver la croyance dans cet accoutrement. Ils dirent alors :
    -    « Ce village n’est plus sûr, il faut vous battre pour vos familles et pour tout ce en quoi vous avez foi, il faut vous battre car les grands rois l’ont dit… »

    Ils firent monter hommes et enfants sur sélection. Joffrey et Pierre restèrent là-bas puisque leur couleur ainsi que leur nom n’était pas assez Africain pour leur permettre d’être dans l’armée. Flamio s’était mis à côté de moi, tremblant, les yeux emplis d’inquiétude. Le camion démarra alors, laissant nos deux frères derrière nous, les accompagnant d’un signe de la main. Il faut croire que la religion excuse tous  les actes, mais Ils avaient le sourire, allez savoir pourquoi. Pendant le trajet, nombreux étaient les soldats qui pariaient nos vies quant à notre physique, certains me donnaient deux jours tandis que d’autres me donnaient trois mois. Lorsque je voulais les regarder pour me faire une idée de mon devenir, ils pointaient leurs armes vers moi, et me disaient d’un ton agressif :
    -    « Quoi ?! Retourne-toi, tu comprendras bien assez tôt ! »
    En effet, un long camp de tentes était en vue. Tout autour, il y avait quelques murs, et des soldats. Le camion entra dans le camp et déjà, l’odeur de poudre et de vieux moteurs venaient me brûler le nez. Il y avait des enfants de tous âges, une église s’imposait au centre de ce camp tandis qu’à gauche et qu’à droite de cette même église se trouvaient des voitures armées, des réserves de munitions et tout plein d’autres bâtis de guerre soulignant ce contraste. Les soldats nous firent alors descendre du camion et nos répertorièrent nom après nom. Le camp était vraiment grand, je n’avais jamais vu autant de monde mais surtout, autant de personnes aussi pressées. Ils nous dirigèrent vers l’église où un homme habillé en marabout  -sûrement un étranger qui n’y connait rien à notre religion- nous attendait.
    Cet homme bizarre, accompagné d’un confrère de notre village chantèrent des chants à la mémoire de nos compatriotes déjà morts. Il entama un discours des plus infondé et absurde qui soit. Il argumentait le fait que Dieu nous avait envoyé un signe et qu’il fallait tuer l’homme blanc. Ici, c’était un peu l’école de la mort, dans une église. On vous apprenait à tuer pour donner vie à l’âme, à foncer sans comprendre, puisque si l’on était croyant, le ciel nous accorderait sa clémence.  Ensuite, après le discours du marabout venait le général, un petit homme au visage marqué par la sévérité. Il ne semblait pas bien méchant, mais ses discours étaient tels qu’ils vous arrachaient le cœur.

    -    « Ici, vous oublierez amour et famille, ici, seule la survie et la gloire ont leur place. Il n’y a pas de compagnie ou même de fraternité qui tienne, seul vous et vous seul serez la clé de votre survie. Aujourd’hui, vous n’êtes plus humains, vous êtes soldats et la mort est l’arme que le seigneur vous à donné pour offrir la vie à notre peuple futur. »

    Ses directives étaient claires et notre semblant d’humanité n’était qu’une étincelle dans un canon. Au centre de préparation, on m’assigna deux autres enfants de douze et treize ans, ainsi que mon frère tout ça parce que mon nom signifiait « élu » dans notre langue. Les soldats me dirent :
    «  Tu dois prouver que tu mérites ce nom, alors voici trois jeunes marmots qui devront donner leur vie pour te protéger. »

    Les soldats, quoi de plus insensé. Le plus jeune, de douze ans se nommait Alberto et l’autre de treize ans, Albouhada. Alberto, qui pourtant était le plus jeune montrait le plus d’indifférence et de hargne à la situation. Son regard était vide comme le canon d’une arme et ses mains dures comme une montagne.  Il n’était pas du genre très bavard, disons qu’il préférait les actes à la parole… en somme, un vrai soldat. Le nuit tomba vite, et les chants des femmes qui venaient du loin faisaient vibrer le ciel. Flamio s’était endormi sans trop de soucis, comme si rien ne s’était passé. Pourtant, même dans le silence, on entendait dans le font de la tête des enfants présents ici, une seule phrase résonner :
    -    « Demain, je vais devoir tuer… »

    Nul enfant n’est fait pour ce massacre. On aura beau nous dire, vous êtes les enfants de Dieu, soldats d’une une guerre pour la paix mais les mots sont ce qu’ils sont et les actes restent et de loin, plus concrets et conséquents sur la perception de notre humanité.
    Alberto, qui jusque là n’avait su montrer que sa force et son imperméabilité quant à ce qui se passait, faisait preuve de détachement et d’hésitations. Ses mains faisaient sans cesse des allés et retours pour couvrir son visage. Il disait même, d’une voix tremblante, que tout homme qui part faucher l’existence et les convictions d’un autre homme, quel qu’il soit, se devait  d’être aveugle.
    Le jour se leva bien trop tôt et se riait de nous sur son royaume de nuages sanglants, l’aurore.
    Le chef arriva et nous leva de force. Les paroles n’avaient nulles importances à ce moment là, les gestes se suffisaient à eux même pour nous dire, c’est l’heure, va-y. Après tout, même une arme entre les mains, nous sommes tous des lâches qui ne savent trouver par eux-mêmes un moyen d’avancer autrement.
     

     

     

     


    © Damien Corbet -Tous droits réservés.
     


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